Affaire Sokal

22 septembre 2016, par Robin Birgé

Mise en scène de l’affaire Sokal : questions politiques, ontologiques (qu’est-ce que la connaissance ?), méthodologiques (comment est-elle constituée ?) et éthiques (comment apprécier sa valeur ou sa validité ?).

Sommaire

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    Mon mémoire de Master 2, dirigé par Pascal Nouvel (Département de philosophie de l’Université Paul-Valéry – Université Montpellier 3), consiste en une mise en scène épistémologique de l’Affaire Sokal.

    Ce qu’on appelle l’affaire Sokal peut être décomposée en deux actes. Le point de départ est bien défini : il s’agit du pastiche d’un physicien américain, Alan Sokal, publié en mai 1996 dans la revue culturelle américaine Social Text. Sa cible : des auteurs de gauche issus de la « nébuleuse postmoderne » (rarement défini) et le « relativisme cognitif » (souvent mal-défini ou défini dans la volonté de le détruire).

    Le premier enseignement que je tire de la pratique du canular pour piéger des personnes, est double : un canular ne démontre pas grand chose (sauf qu’un mauvais article a été validé par quelques personnes, ce qui arrive dans toutes les revues), et qu’en jetant l’opprobre sur tout un champ de recherche de cette manière, on coupe court à une discussion intelligente. Je qualifie volontiers cette méthode d’anti-intellectualisme, méthode qui malheureusement a fait des émules Tribune de {Libération}, « Canulars académiques, les < maîtres à penser > démasqués », par Alan SOKAL , Philippe Huneman , Anouk Barberousse , Arnaud Saint-Martin et Manuel Quinon, le 31 mai 2016 ->Tribune de {Libération}, « Canulars académiques, les < maîtres à penser > démasqués », par Alan SOKAL , Philippe Huneman , Anouk Barberousse , Arnaud Saint-Martin et Manuel Quinon, le 31 mai 2016 . L’intérêt des débats qui en découlent n’est aucunement en jeu ici.

    L’affaire, très politique aux États-Unis, est relayée non seulement dans les journaux universitaires, mais également dans la presse généraliste, et jusqu’en Europe : l’ensemble de cette controverse constitue le premier acte, ou “affaire Social Text”. En effet, le premier but explicite de Sokal est politique. Il se proclame comme politiquement “à gauche” et la science des deux derniers siècles était plutôt de ce bord politique. Le rôle du scientifique est de produire une analyse objective de la réalité ; ses valeurs -Vérité, Raison, Objectivité- deviennent des outils de lutte contre l’obscurantisme, les mystifications soutenues par le pouvoir, ou contre des formes d’oppressions. Sokal pointe du doigt la trahison de l’idéal des Lumières. Il s’attaque ainsi aux penchants subjectivistes des discours des courants nommés postmodernistes , qui, en considérant la connaissance comme le résultat d’une simple convention sociale, sont « hostile[s] aux valeurs et au futur de la gauche » car incapables de produire d’analyse réelle de la société. Sokal va plus loin en amenant dans le débat la “tarte à la crème” des anti-relativistes : concevoir que la réalité n’est définie que par conventions sociales peut amener aux négationnismes de tout genre (esclavagisme, chambres à gaz, etc.). Ce qui, vous l’avez deviné, me semble un argument assez faible quand on pense à toutes les atrocités commises au nom de la Science la plus normale, passées (traite des noirs, colonialisme, eugénisme, nombres de guerres, …) et présentes (néo-colonialisme, esclavage moderne au nom de l’efficacité du système économique mondialisé, …). J’affirme en effet que notre monde a un problème de surplus d’autorité en la science, et non l’inverse : la réflexivité est une arme de construction face à l’oppression, et la perte de fondements absolus (via le relativisme) est une arme au fondement d’une bonne éthique de la discussion que tout à chacun peut se rapproprier, même les pires ennemis (c’est le prix à payer de la perte de fondements).

    Lorsqu’elle parait se tasser en juin 1997, elle reprend de plus belle en septembre 1997 par un coup médiatique de Sokal, alors associé au physicien belge Jean Bricmont, lors de la publication du livre Impostures Intellectuelles qui constitue l’amorce du deuxième acte, ou “affaire Impostures Intellectuelles” (toutes mes excuses pour ce manque d’originalité terminologique). Cette fois, les auteurs ont la prétention d’épingler l’abus de l’utilisation de termes scientifiques dans les productions des auteurs incriminés dans le canular un an plus tôt. La transition d’une affaire à l’autre n’est pas évidente à borner, tant spatialement que temporellement. Si l’affaire Impostures Intellectuelles semble moins politique et se poursuit outre atlantique, elle se concentre en France sur les auteurs incriminés dans le pamphlet, et dans le monde anglo-saxon sur l’opposition entre ceux qui font la science et ceux qui l’étudient. Cette affaire se caractérise dès le début par un jeu d’interprétation et de réinterprétation de la signification du canular. Chaque protagoniste, en se réappropriant le texte, l’insère dans sa vision du monde et en tire des conclusions avec sa logique propre dans un cadre de communication mouvant (d’où il s’exprime).

    Notes